NuclearPlatypus

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En août dernier, c'était un ancien commandant de la force Al Qods, unité d'élite de l'IRGC, qui s'était rendu à Paris pour les JO. Cette unité a joué un rôle clé dans la répression des manifestations iraniennes en 2022-2023

https://www.ouest-france.fr/jeux-olympiques/le-president-iranien-du-comite-national-paralympique-2024-vise-par-une-plainte-pour-torture-a-paris-1ce1303e-459f-11ee-a014-fc15152f6424

 

Jean-François Bayart

« Le poisson pourrit toujours par la tête », a rappelé Gabriel Attal au conseil d’administration de Sciences Po, le 12 mars. Voilà au moins un point sur lequel on peut être en accord avec lui. C’est peu dire que l’irruption inopinée du Premier ministre constitue en soi un événement stupéfiant et inacceptable.


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On le retrouve dans la devise du régime : « Dieu, Patrie et Famille »

L'innovation et l'originalité toujours de mise dans ce courant de pensée

La rhétorique du nouveau régime, qui assume d’emblée la dimension antiparlementaire propre aux régimes dictatoriaux et fascistes de son époque, se fonde sur l’idée de « régénération » de la patrie

À ne pas confondre avec le genre de discours ci-dessous, même si les nuances sont discrètes, on reste typiquement sur du centre-droit libéral et modéré :

"Le 21e siècle est le siècle de la régénération. Et cette régénération vous ordonne de renouer avec l’esprit de la Révolution française. Votre mission est d’éviter le grand effacement de la France face au défi d’un monde en proie au tumulte. Si vous ne vous en sentez pas capable, quittez cette pièce à l’instant. Vous n’êtes pas seulement des ministres, vous êtes les soldats de l’an II du quinquennat."

 

Trop souvent le débat – et la polémique – autour de la dérive « illibérale » de la France est réduite à la seule figure du président de la République. Quelle que soit l’hybris jupitérienne de ce dernier, son action s’inscrit dans un jeu de forces, à la fois synchronique et diachronique, dont il est souvent le simple jouet. Il est plus important de réfléchir à des enchaînements complexes de circonstances contingentes et hétérogènes qui enclenchent, dans des situations historiques concrètes, de nouvelles configurations.


L'injonction d’Emmanuel Macron à ses ministres de se montrer non «gestionnaires» mais «révolutionnaires» peut prêter à haussement d’épaules. On peut y voir aussi une manifestation supplémentaire du grotesque qui lui tient lieu de style politique dès lors que sa prétention à être lui-même « révolutionnaire » va de pair avec la répression policière de tous ceux qui se le disent également, avec plus de crédibilité que lui-même.

Néanmoins, il nous faut prendre au sérieux cette pétition de principe « révolutionnaire » dont il se pourrait qu’elle nous fournisse la clef d’intelligibilité du macronisme. Après tout, Emmanuel Macron a intitulé son ouvrage de première campagne présidentielle Révolution. Il se réclamait de temps nouveaux et entendait rejeter dans les poubelles de l’Histoire le vieux monde, non sans accents évangéliques de born again de la République (ou de la monarchie ?). Volontiers « disruptif », il se veut homme de rupture et, pourquoi pas, de transgression, en l’occurrence des « tabous », un mot récurrent dans son discours. Il se rêve en président d’une start-up nation pour mieux se gausser des « Gaulois réfractaires ».

« En même temps » il se dévoile en conservateur profond. Il assume sans gêne les poncifs les plus éculés du roman national. Orléans, le Mont-Saint-Michel, le Puy du Fou, Notre-Dame de Paris délimitent sa géographie historique. Il reprend le vocabulaire traditionnel de la droite et souvent de l’extrême droite en répondant à l’explosion sociale des banlieues par la pensée magique de l’ « autorité », en se dressant contre l’immigration, en luttant contre les narcotrafiquants par l’organisation d’opérations « place nette » dont on a vu l’inanité en Amérique latine ou aux Philippines, en s’imposant dans la sphère intime de la famille pour contrôler les écrans des ados et augmenter le nombre des bébés, et en œuvrant pour que la France « reste la France » quitte à paraphraser Éric Zemmour. Il assume désormais la remise en cause du droit du sol, fût-ce à doses homéopathiques.

Par ailleurs sa « révolution » est surtout celle du capitalisme, en vue de sa systématisation à l’ensemble de la vie sociale, et au prix d’un siphonage radical du secteur public au bénéfice du secteur privé dans les domaines de la santé, de l’éducation, des transports, de la vieillesse, de la petite enfance, de l’administration. Chef de l’Etat, Emmanuel Macron est le fondé de pouvoir d’Uber, d’Airbnb et de McKinsey dont il aimerait simplement que les opérateurs soient des chouans ou des bâtisseurs de cathédrale.

Le slogan initial du macronisme, sous couvert de ricœurisme mal digéré, doit donc être pris au sérieux, et au pied de la lettre. Il s’agit d’être à la fois conservateur et révolutionnaire. Son attitude à l’égard de l’homosexualité est éloquente de ce point de vue.

Une part de son entourage politique le plus proche partage cette orientation sexuelle, à commencer par le Premier ministre, Gabriel Attal, et le nouveau ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, lesquels ont d’ailleurs été compagnons « pacsés » en bonne et due forme de 2017 à 2022. Mais ce personnel politique gay friendly affiche des valeurs et un imaginaire politiques profondément conservateurs au point d’introduire dans la législation française la « préférence nationale » chère à la famille Le Pen, dont la loi contre l’immigration du 19 décembre a assuré la « victoire idéologique », de son propre dire. L’amour entre garçons, pourquoi pas, mais en uniforme et sans abaya.

Ce en quoi le macronisme ne se démarque pas autant de la droite ou de l’extrême droite qu’on pourrait le penser. Le premier ministre notoirement homosexuel dans un gouvernement français fut nommé par Giscard d’Estaing, le premier député à faire son coming out fut un chiraquien, et Marine Le Pen se tint à distance de la Manif pour tous, ne serait-ce que parce que son bras droit de l’époque était lui-même homosexuel.

Loin de nous, naturellement, l’idée de voir dans le macronisme un complot LGBT. Si tel eût été le cas, Clément Beaune serait encore au gouvernement. Mais le libéralisme sexuel peut se combiner avec des choix politiques ou économiques des plus conservateurs, même si la base électorale ou militante de la droite et de l’extrême droite demeure sourdement homophobe – tout comme les œillades de Marine Le Pen aux juifs et à Israël n’empêchent pas nombre de membres du Rassemblement national d’être antisémites. En Grèce, à la consternation de l’Église orthodoxe, un Kyriákos Mitsotákis fait voter le mariage entre personnes de même sexe tout en flirtant avec les néo-nazis d’Aube dorée.

La question est donc de savoir comment on peut « en même temps » être un Premier ministre homosexuel et dénoncer le « wokisme » ; reconnaître les crimes contre l’humanité dont s’est rendue coupable la colonisation et stigmatiser les études postcoloniales ; conjuguer la nostalgie de l’Ancien Régime et la start-up nation. De quoi ces contradictions apparentes, ou plutôt ces tensions sont-elles le nom ?

De quelque chose que nous connaissons très bien dans l’histoire européenne : à savoir la « révolution conservatrice » à laquelle en appela Hugo von Hofmannsthal lors de sa conférence « Les Lettres comme espace spirituel de la nation », donnée à Munich en 1927. Thomas Mann parlera plus tard, à ce propos, de « monde révolutionnaire et rétrograde », de « romantisme technicisé », dans une perspective critique[1]..

Quelle que fût leur appréciation normative, ces termes renvoyaient, à l’époque, au fascisme italien, au national-socialisme allemand, à toute une série de régimes autoritaires d’Europe centrale et orientale qui peu ou prou lorgnaient vers ces modèles, aux mouvements politiques de cette inspiration, de ce « champ magnétique »[2] qui travaillaient entre les deux guerres les démocraties libérales. J’y ajouterai pour ma part le régime de parti unique de Mustafa Kemal qui fascina la droite nationaliste allemande dans son refus du Diktat de la paix de Versailles – en l’occurrence du traité de Sèvres – et le « socialisme dans un seul pays » que fit prévaloir Staline en URSS, à partir de 1924, en épousant la passion nationale grand-russe, non sans obtenir de la sorte une certaine empathie de la part de la droite nationaliste allemande, anti-bourgeoise et anti-occidentale.

Dans tous ces régimes l’on retrouvait un tel alliage entre deux orientations apparemment contradictoires : d’une part, une volonté de rupture avec le monde ancien, ostensiblement méprisé, que l’on ne projetait pas de restaurer – à l’instar des réactionnaires à la Charles Maurras – mais que l’on voulait régénérer par l’exaltation d’un Homme nouveau grâce à une vraie révolution morale, culturelle, technologique, économique et même, parfois, sociale ; d’autre part, l’attachement à certaines catégories traditionnelles de la famille, de la sexualité, de l’autorité, de la nation, de l’identité culturelle, quitte à bousculer leurs cadres institutionnels tels que les Églises, l’école, l’Université, voire l’armée ou la famille elle-même, en dressant les enfants contre leurs parents, leurs professeurs, leurs généraux et leurs prêtres au nom des impératifs de la révolution.

De nos jours nombre de régimes renouent avec cette combinaison paradoxale. Ainsi de l’Inde de Narendra Modi, de la Russie de Vladimir Poutine, de la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, de la Hongrie de Viktor Orbán, de l’Israël de Benjamin Netanyahou, de l’Argentine de Javier Milei, et de bien des États subsahariens. Mon hypothèse, que j’ai hasardée depuis 2017 dans différents médias – Mediapart, Le Temps et Blast[3] – est qu’Emmanuel Macron participe de cette tendance globale. Affirmation qui nécessite immédiatement des mises en garde si l’on veut éviter que le débat ne s’égare dans les méandres de la polémique et d’une conception erronée de la comparaison.

##Comparer Macron avec d’autres figures révolutionnaires conservatrices

L’historien Paul Veyne nous rappelle que dans la langue française le verbe « comparer » comporte deux sens antithétiques : l’on compare à pour exprimer la similitude, l’on compare avec pour mettre en jeu la différence (ou la spécificité) au-delà de la similitude, éventuellement factice ou superficielle. Dans notre cas, il s’agit évidemment de comparer Emmanuel Macron avec d’autres figures politiques contemporaines ou de l’entre-deux-guerres. Le lecteur sera suffisamment charitable pour ne pas me reprocher de le comparer à Hitler, à Mussolini ou à Poutine. Et d’ailleurs il est moins question de comparer Emmanuel Macron à tel ou tel que de comparer la situation française d’aujourd’hui avec d’autres situations politiques, d’aujourd’hui ou d’hier.

Ce qui doit nous importer, ce sont bien des logiques de situation que servent des acteurs politiques, souvent à leur corps défendant, ou sans même qu’ils en soient conscients. Mon raisonnement relève de la sociologie historique et comparée du politique plutôt que d’une conception intentionnaliste des sciences sociales[4]. Cela ne diminue en rien le rôle et la responsabilité personnelle des acteurs – en l’occurrence d’Emmanuel Macron – mais nous interdit de limiter notre analyse à cette aune individuelle.

En d’autres termes il convient de distinguer les intentions ou l’orientation idéologique d’Emmanuel Macron et les dynamiques de situation dans lesquelles s’inscrit son action. Ces dynamiques sont celles des configurations politiques, sociales et culturelles du moment ou du passé immédiat. Mais elles sont également tributaires de l’historicité propre de la société française, de sa mémoire historique, de la panoplie des répertoires idéologiques et discursifs qu’elle a noués au fil des siècles, des rapports de force matériels et imaginaires qui se sont constitués dans le déroulé des événements.

Bref, le débat aurait tort de se cantonner à la seule personne du président de la République et de prendre pour argent comptant son auto-identification puérile à tel ou tel dieu de l’Antiquité grecque, Jupiter ou Vulcain, selon les circonstances. Son projet n’est certainement pas de faire le lit de Marine Le Pen. Il n’empêche que son action pave la route de celle-ci vers l’Elysée, en 2027, si tant est qu’une crise de régime ne survienne pas auparavant à la faveur de l’évidement progressif de son autorité.

##Logique de situation, 1

Doivent notamment être pris en considération cinq facteurs. Le premier d’entre eux est le positionnement politique qu’a choisi Emmanuel Macron en 2017. Loin d’être neuf celui-ci reprenait un vieux classique de l’histoire européenne : l’aspiration à un « État fort » dans une « économie saine » que réclamaient Carl Schmitt et les Neuliberalen dans l’entre-deux guerres, c’est-à-dire le rêve d’un « libéralisme autoritaire », selon la formule du critique de ce dernier, le juriste social-démocrate Hermann Heller.

Un tel positionnement, dans l’histoire française, a une lignée bien précise, celle de l’ « extrême-centre », qui part des « Perpétuels » de Thermidor aux technocrates néolibéraux d’aujourd’hui en passant par le réformisme autoritaire de Napoléon Ier et de Napoléon III, le saint-simonisme, les réformateurs étatistes de la fin de la Troisième République et de Vichy, les hauts fonctionnaires des Trente Glorieuses, puis de l’Âge néolibéral[5].

Or, la constante de cette orientation politique a toujours été une sourde défiance à l’encontre de la démocratie et du peuple, postulé incapable de comprendre le sens de l’Histoire, la nécessité des réformes, les bienfaits de l’accumulation primitive de capital. Des Gaulois réfractaires, vous dis-je ! Sans que l’on sache trop s’il connaît l’origine et la signification historique de cette expression, Emmanuel Macron se réclame explicitement de l’ « extrême centre ».

Cela ne le prédispose pas à jouer la démocratie contre la montée électorale de l’extrême droite qu’il prétend pourtant endiguer en appliquant son programme, à la façon d’un Viktor Orbán. Cela risque même de l’installer mécaniquement dans la position du chancelier Brüning, gouvernant par décret l’« économie saine » avant d’être balayé par le national-socialisme. Le recours immodéré aux ordonnances, aux décrets et au 49.3 participe de cette pesanteur.

D’ores et déjà Emmanuel Macron, tout jupitérien qu’il soit, entérine l’instauration d’une forme d’Etat corporatiste au sein duquel la Police et la FNSEA ont pris le contrôle, respectivement, du maintien de l’ordre et de l’agriculture, dans une perspective de défense d’intérêts catégoriels, déconnectée de l’intérêt général. Il est de plus en plus patent que l’armée prend le chemin de cette autonomisation, notamment dans le cadre du Conseil de défense, entité non constitutionnelle qu’avait mise en place François Mitterrand pour contourner le contrôle parlementaire et la réticence de son ministre de la Défense, Pierre Joxe, vis-à-vis de l’intervention militaire de la France au Rwanda.

De manière générale la conjonction de l’absence de majorité parlementaire, du libéralisme économique et du mépris de l’administration, qualifiée d’ « État profond », a conduit à la systématisation d’un gouvernement caméral, par conseils, désormais plus souvent privés que publics, dans les différents domaines de la vie de la nation.

##Logique de situation, 2

Un deuxième facteur est l’instauration à bas bruit, ces dernières décennies, d’un État policier sous couvert de lutte contre le terrorisme et contre l’immigration ou de la préparation des Jeux Olympiques, sous la pression continue de lobbies industriels, et à la faveur du développement des nouvelles technologies numériques.

Depuis vingt-cinq ans les lois liberticides se sont multipliées, la plupart des dispositions prises sous l’état d’urgence ont été ensuite introduites dans le droit ordinaire, et la numérisation du contrôle de nos vies privées ou professionnelles s’est amplifiée de manière exponentielle. Un habitus policier s’est imposé : à la population, singulièrement celle des banlieues populaires, mais aussi au gouvernement dont les ministres de l’Intérieur successifs ne sont plus que les représentants des syndicats policiers dans l’arène politique.

Le plus grave a trait non seulement à l’impuissance des organisations ou des institutions publiques en charge de la défense des libertés, mais aussi et surtout à l’indifférence ou l’inconscience des citoyens, en dépit des avertissements de personnalités souvent issues de la droite, telles que l’écrivain François Sureau, pourtant proche d’Emmanuel Macron, ou l’ancien Défenseur des droits, le chiraquien Jacques Toubon. Le consumérisme niais a désactivé la conscience politique critique, et les libertés sont allègrement sacrifiées sur l’autel du dernier modèle de l’iPhone.

Nous n’en prendrons qu’un exemple, tiré de la vie quotidienne. La généralisation des contrôles routiers automatiques, par radar et vidéosurveillance, a privé l’automobiliste de toute possibilité effective de contestation de son éventuelle verbalisation, y compris lorsque son identité a été usurpée ou lorsque la signalisation est défectueuse : tout simplement parce que l’agent administratif saisi de la réclamation ne peut y passer que quelques minutes, sans prendre connaissance du fond, et se contente donc de la rejeter, politique du chiffre oblige.

La France a été condamnée par la justice européenne, mais ne donne pas suite[6]. Demain les contrôles de la foule, puis des individus, par les technologies de l’intelligence artificielle, de la reconnaissance faciale et de la biométrie, dont le loup a été introduit dans la bergerie des Jeux Olympiques – comme en Chine –, livrera tout un chacun à l’arbitraire algorithmique de la Police.

Dans cette démission générale il n’est plus guère de personnes pour s’indigner de l’absence de tout juriste constitutionnaliste au sein du Conseil constitutionnel, par exemple, ou encore des crimes quotidiens contre l’humanité dont se rend coupable la France, au même titre que le reste de l’Union européenne, dans sa lutte contre l’immigration – laquelle provoque la mort, chaque année, de plusieurs milliers d’individus. Un ministre de l’Intérieur peut même benoitement annoncer qu’il n’appliquera pas les décisions de justice du Conseil d’État ou de la Cour européenne des droits de l’Homme et être reconduit dans ses fonctions.

Sans crainte du ridicule, un garde des Sceaux, pénaliste réputé, peut être blanchi par la Cour de justice de la République du chef d’accusation de prise illégale d’intérêts au prétexte qu’il n’avait pas compris le conflit desdits dans lequel il se trouvait. Un secrétaire général de l’Élysée, mis en examen, peut, sans sourciller, annoncer la composition d’un gouvernement dans lequel figure une ministre de la Culture elle-même mise en examen.

Nous sommes bien dans le gouvernement du grotesque, propice à la tyrannie. L’État de droit – sans même parler de la République « exemplaire » que revendiquait Emmanuel Macron – n’est plus qu’un trompe-l’œil qui ne parvient pas à faire oublier les dizaines de manifestants ou de simples passants mutilés par la répression policière et l’usage d’armes létales indignes d’une démocratie, violence institutionnelle qui vaut à la France des remontrances répétées de la part des Nations unies et des institutions européennes.

Autrement dit, sur plusieurs décennies, les gouvernements successifs, qu’ils soient de gauche, de droite ou d’ « en même temps », ont mis en place un arsenal législatif, réglementaire et coutumier qui donnera au Rassemblement national les clefs d’un État autoritaire contre lequel la société française n’a plus guère de défense immunitaire.

##Logique de situation, 3

Le troisième facteur qui menace insidieusement la République française est la mise en place d’un système de désinformation aux mains de l’extrême droite et de la droite traditionaliste, plus ou moins religieuse et identitariste, que relayent dans l’opinion les réseaux sociaux, parfois inféodés à des régimes révolutionnaires conservateurs étrangers, tels que celui de Vladimir Poutine.

Se diffusent de la sorte, dans les veines de la société française, les « minuscules doses d’arsenic » d’une novlangue dont un Victor Klemperer a magistralement démontré l’efficace au sujet du Troisième Reich[7]. Non seulement Emmanuel Macron – pas plus, cela va sans dire, que Les Républicains, désormais acquis à cette vision du monde – ne s’y oppose pas, en dépit de son animosité personnelle à l’encontre de Vincent Bolloré, mais il encourage ses ministres à investir ces médias, c’est-à-dire à en reprendre les codes de langage et le style culturel qui deviendra vite un « style de domination »[8] quand le Rassemblement national parviendra au pouvoir.

Dès maintenant cette adoption de la langue de l’identitarisme xénophobe se traduit en termes législatifs, comme on l’a vu avec le vote et la promulgation de la loi contre l’immigration qui certes a été en partie censurée, mais non pour des raisons de fond, plutôt parce qu’elle comportait des « cavaliers législatifs ». Chose plus grave, elle est en adéquation avec la pensée profonde du chef de l’État dont les choix sémantiques trahissent son adhésion à un imaginaire certes libéral et global – celui d’une « économie saine » – mais aussi autoritaire et bien franchouillard, celui d’un « État fort ».

La recherche de Damon Mayaffre, spécialiste au CNRS de linguistique informatique, est riche d’enseignements de ce point de vue. Elle démontre qu’Emmanuel Macron recourt de manière presque obsessionnelle au « r- à l’initiale », c’est-à-dire en début de mot : Retrouver, Recouvrer, Refonder, Restaurer, Reconstruire, Réarmer, etc. C’est au fil de ce penchant qu’il rebaptise Renaissance son mouvement En marche, qu’il crée un Conseil national de la refondation, qu’il institue un ministère de la Réinvention démocratique.

Ce vocabulaire donne une orientation particulière au r- à l’initiale de son désir de Révolution ou de Renaissance qui ne peut plus guère cacher ses « affinités électives » (Max Weber) avec la « renaissance » ou la « révolution nationale » de Philippe Pétain, lui aussi tiraillé entre une sensibilité purement réactionnaire et des velléités d’ « Homme nouveau » qu’incarnaient une partie de ses soutiens ou de ses alliés, souvent issus du catholicisme, et que l’on retrouvera parfois dans la réorganisation du patronat français au cours des Trente Glorieuses[9].

Il est d’ailleurs révélateur qu’Emmanuel Macron ait rabroué sa Première ministre Élisabeth Borne lorsque celle-ci condamna toute indulgence idéologique à l’égard de Philippe Pétain. Consciemment ou non, il reprend à son compte le vieux rêve de réconciliation – encore un r- à l’initiale – entre de Gaulle et Pétain que caressa longtemps l’extrême droite et qu’a réveillé Éric Zemmour pendant sa campagne présidentielle de 2022. Mais, « en même temps », son répertoire est martial, dans le domaine de la sécurité, de l’économie, de la santé, de la démographie.

Il est donc potentiellement compatible avec la thématique de la « guerre culturelle », le grand cheval de bataille des révolutionnaires conservateurs urbi et orbi qu’il a enfourché sans vergogne (ou invité sa garde rapprochée à enfourcher) en 2020 pour dénoncer le « wokisme », le « séparatisme », le « grand effacement », la « décivilisation » et autres énoncés chers à la Nouvelle Droite qui a su les instiller dans le débat public depuis la fin des années 1970 au point de les rendre hégémoniques[10].

##Logique de situation, 4

Un quatrième facteur intervient dans la dérive de la démocratie française, d’autant plus redoutable qu’il se pare des vertus de la décentralisation. Cette dernière peut donner naissance à des bonapartismes locaux, un « style de domination » dont Georges Frêche a été pionnier, à Montpellier, mais qu’illustrent aujourd’hui, d’un côté et de l’autre de l’échiquier politique, un Laurent Wauquiez, une Anne Hidalgo ou une Valérie Pécresse.

Lorsque l’orientation idéologique du César local s’y prête, il y a là un potentiel révolutionnaire conservateur que l’on ne doit pas négliger : parce qu’il est susceptible de s’actualiser dans des territoires où prévaut un régime de presse unique, sans contre-pouvoir médiatique, du fait du monopole dont jouissent les quotidiens régionaux ; parce que les collectivités locales, les associations, les institutions universitaires sont tributaires des subventions du conseil régional, voire du président ou de la présidente en personne ; parce que prévaut dans l’ensemble du territoire national une sourde défiance à l’encontre du « parisianisme », c’est-à-dire, souvent, des élites intellectuelles critiques.

Il sera sans doute difficile à un Laurent Wauquiez d’obtenir la suppression de l’enseignement de la sociologie dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, comme est parvenu à le faire son homologue de Floride, mais nous le voyons déjà faire un usage très discrétionnaire des subventions dans le domaine culturel, couper le financement régional de Sciences Po Grenoble suspecté d’islamo-gauchisme, exiger avec succès l’annulation d’un colloque universitaire sur la Palestine à Lyon.

Placés sous la coupe de la Place Beauvau et de l’Élysée, les préfets ne sont pas les meilleurs remparts de la défense de l’État de droit au niveau régional dès lors que l’Exécutif prend avec celui-ci des libertés croissantes à l’échelle nationale. Durant la pandémie de Covid-19 l’on a ainsi vu les uns et les autres marcher main dans la main pour imposer l’un des confinements les plus sévères et policiers de l’Europe, le ministère de l’Intérieur invitant, le 20 mars 2020, les maires et les préfets à utiliser la « totalité de leurs pouvoirs de police » pour durcir les mesures nationales, à l’image du maire de Nice qui venait de décréter un couvre-feu en sus des restrictions apportées par Paris à la circulation des personnes. 210 municipalités se sont prêtées de leur propre gré à la manœuvre.

Par ailleurs préfets et maires ont rivalisé de zèle pour interdire l’accès à des espaces verts ou sauvages, tels que forêts, plages et montagnes, dans une logique plus punitive que sanitaire, et au risque d’aggraver le coût mental du grand enfermement dont nous n’avons peut-être pas encore pris toute la mesure.

Le bonapartisme local rend d’autant plus menaçant l’amendement de la loi visant à renforcer la sécurité et la protection des élus, adopté le 7 février par le Parlement, et qui fait bénéficier tout « titulaire d’un mandat électif public ou candidat à un tel mandat » d’un délai de prescription d’un an pour porter plainte en cas de diffamation ou d’injure publique (au lieu de trois mois actuellement).

La porte est ouverte à la multiplication des procédures bâillons à l’initiative des édiles. Les organisations syndicales des journalistes y voient une épée de Damoclès pesant sur les rédactions et les éditeurs de presse alors qu’« énormément de maires ou de présidents de conseil régional mettent déjà une pression de dingue sur la presse quotidienne régionale », selon Christophe Bigot, président de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse : « Sous le couvert de lutte contre la haine qui se déverse sur les réseaux sociaux, objectif légitime dans nos sociétés démocratiques, c’est toute la critique de l’action des élus qui est concernée »[11].

##Logique de situation, 5

Enfin il faut souligner que ces logiques de situation sont connectées à celles, du même ordre, qui prévalent à l’étranger. Sur notre continent, bien sûr, et d’autant plus que les libéraux ou les sociaux-démocrates n’ont pas le monopole de l’idée européenne, comme persistent à le croire les bons esprits. L’extrême droite ou la droite identitaristes ont elles aussi une conception plus ou moins partagée de l’Europe, en dépit des divisions de ces courants au Parlement de Strasbourg.

Tant et si bien que nous voyons maintenant Emmanuel Macron et Marine Le Pen rivaliser en amabilités à l’endroit de Giorgia Meloni ou de Viktor Orbán. Une part appréciable de l’échiquier politique, à l’extrême droite mais aussi à la gauche de la gauche – notamment, chez les Insoumis – affiche une certaine sympathie pour Vladimir Poutine, nonobstant son invasion de l’Ukraine. La France, de concert avec l’Italie et la Commission de l’Union européenne, flatte et finance l’erratique président Kaïs Saïed, héraut de la révolution conservatrice tunisienne, complotiste et antisémite, mais dont on escompte, bien naïvement, l’intercession dans l’endiguement de l’émigration africaine.

Un calcul infâme qui préside déjà aux relations de l’Europe avec les milices criminelles de Libye et le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan en Turquie. Emmanuel Macron a fait du pogromeur Narendra Modi l’invité d’honneur de la célébration du 14 juillet 2023 et a accepté d’être le sien pour la fête nationale indienne – Joe Biden ayant décliné ce privilège douteux – alors que l’inauguration du très contesté temple de Ram, à Ayodhya, lançait la campagne électorale sur les rails outrancièrement identitaristes et antimusulmans de l’hindutva.

Bien que la droite traditionaliste française soit plutôt catholique et relativement étrangère à l’univers charismatique de la Religious Right étatsunienne et que les questions de mœurs n’aient pas la même acuité dans l’Hexagone qu’en Amérique, la victoire électorale de Donald Trump donnera(it) un coup de fouet à la révolution conservatrice qui s’est enclenchée en France et dont Emmanuel Macron est devenu nolens volens le fourrier. On sait combien les réseaux d’influence liés à l’alt-right sont très actifs en Europe, à partir de Budapest, Bruxelles et Rome, même si Steve Bannon n’y a pas rencontré tous les succès qu’il escomptait. Ses techniques et son style de communication font en tout cas florès et empoisonnent désormais la démocratie française d’un jet continu de « minuscules doses d’arsenic ».

Enfin, dans la légitime émotion qu’ont suscitée l’offensive du Hamas, le 7 octobre, et les crimes contre l’humanité auxquels elle a donné lieu, les relais de la droite et de l’extrême-droite israéliennes dans l’Hexagone ont intensifié leur pression idéologique et sont largement parvenus à neutraliser toute réflexion indépendante, notamment universitaire, sur la fuite en avant « illibérale » de Benjamin Netanyahou, sur sa compromission avec le suprémacisme juif et sur la question palestinienne, en assimilant la critique du gouvernement de Tel Aviv/Jérusalem à l’antisionisme et à l’antisémitisme, non sans bénéficier de l’appui d’Emmanuel Macron dont les ministres et les préfets ont pris différentes mesures règlementaires et policières pour étouffer le débat, quitte à mettre un peu plus en péril la liberté scientifique.

Agissant comme de véritables milices numériques, des groupes comme la « Brigade juive » (récemment rebaptisée « Dragons célestes »), « Swords of Salomon » ou « AmIsraël-Team Action » pratiquent le doxing à l’encontre de militants, de journalistes, d’élus, d’avocats jugés pro-Palestiniens en publiant leurs coordonnées personnelles sur les réseaux sociaux pour déclencher une campagne de harcèlement téléphonique contre eux et leurs proches. Une chercheuse comme Florence Bergeaud-Blackler ne répugne pas à s’associer à ce genre de procédés en taxant dans ses derniers écrits de « fréristes » (c’est-à-dire de « Frères musulmans » ou de soutiens de ceux-ci) tels ou tels de ses collègues ou diverses personnalités[12].

##L’enchaînement des bifurcations

Encore une fois ce serait mal lire cet article que d’en réduire l’analyse au seul niveau de l’intentionnalité des acteurs et de la cohérence de leurs politiques publiques. L’essentiel tient aux effets d’enchaînements, souvent involontaires, voire non pensés, à l’enfilement de bifurcations parfois anodines dont l’historien Philippe Burrin a dégagé l’importance dans les itinéraires personnels des parties prenantes des révolutions conservatrices de l’entre-deux-guerres et de la collaboration avec l’occupant nazi[13]. Les circonstances dans lesquelles s’effectuent ces choix et ces glissements sont fréquemment contingentes, tantôt dramatiques tantôt banales.

De ce point de vue la pandémie de la Covid-19, la préparation des Jeux Olympiques de 2024, l’acceptation implicite et progressive de la numérisation du monde sans qu’aucune protection réelle des libertés publiques ne soit mise en œuvre, sa marchandisation effrénée et la privatisation de l’espace public qui s’en suit apparaîtront sans doute aux historiens comme autant d’antichambres de l’État autoritaire qu’érigera le Rassemblement national en 2027, sinon avant en cas d’effondrement des institutions.

On ne pourra comprendre ce basculement de la France, « patrie des droits de l’Homme », dans la révolution conservatrice que si l’on voit comment celle-ci répond, là comme ailleurs, au ressentiment – le grand carburant émotionnel de ce genre de régimes[14] – d’une partie croissante de la population. Ressentiment que nourrissent l’accroissement, de plus en plus indécent, des inégalités, le déclin économique des classes moyennes, l’assombrissement de l’avenir ; l’impression du déclassement de la France et plus largement de l’Europe ou du monde occidental face à la montée de la Chine ; la nostalgie confuse de la « perte de l’Empire », de rose colorié sur les cartes des écoles communales qu’ont encore fréquentées les vieilles générations ; ou encore le traumatisme de la guerre d’Algérie que des dizaines de milliers d’appelés et de rapatriés ont inoculé dans les provinces faute de reconnaissance publique des faits, pudiquement qualifiés d’ « événements ».

Et aussi colère rentrée – traduction plus fidèle du der Groll de Max Scheler que le terme de ressentiment[15] – à l’encontre des technocrates, des intellos et des bobos de Paris, une colère dont les Bonnets rouges, en 2013, les Gilets jaunes, en 2018, et les paysans, en janvier 2024, ont été la pointe acérée, mais que nombre d’observateurs disent sentir frémir dans les profondeurs du pays et que met en forme électorale le Rassemblement national.

Autant de malheurs, autant d’iniquités dont on impute la responsabilité à l’Autre, fût-il de l’intérieur : l’étranger, l’immigré, le réfugié. La corde est usée, mais elle sert encore. La similitude avec la fin du XIXe siècle et l’entre-deux guerres est troublante, et elle n’a rien de rassurant. Seul le visage de l’Idiot utile de service a changé : hier le Juif, le Rital, le Polak, le Chinois ou l’Asian ; aujourd’hui l’Arabe, le Musulman, le Noir et à nouveau le Juif, supposé tirer les ficelles du capitalisme financier débridé et, bien sûr, du massacre de masse de Gaza, sans oublier le 11 Septembre et, pourquoi pas, les atrocités de l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, dans lesquelles d’aucuns reconnaissent sans trop de difficultés la main du Mossad.

Vue sous ces angles, la révolution conservatrice qui est en marche en France est banale, à l’aune de ce qu’il se passe dans le reste du monde. Y compris en ce qu’elle accompagne le passage d’un monde d’empires, gouvernant ses possessions par le truchement de la diversité ethnique et religieuse, à un monde d’États-nations dont la domination est centralisatrice et unificatrice et dont la définition de la citoyenneté est d’orientation ethno-religieuse, au prix de l’assimilation coercitive, voire de la purification ethnique[16].

La transformation de l’idée laïque, instituant la séparation de la religion et de l’État et la neutralité de celui-ci par rapport à celle-là, en laïcité comme nouvelle religion nationale participe de cette logique de situation[17]. L’arrogance universaliste de la Grande Nation ne changera rien à sa commensurabilité avec la Russie de Poutine, l’Inde de Modi, la Turquie d’Erdoğan ou la Hongrie d’Orbán, sans même parler de l’Amérique de Trump.

##La responsabilité de Jupiter

Les partisans d’Emmanuel Macron en tirent la conclusion que celui-ci ne peut être tenu pour responsable d’une montée de l’identitarisme qui frappe l’ensemble du monde. À ce plaidoyer pro domo j’oppose plusieurs objections. Les unes relèvent de la trivialité du jeu politique. Pour garantir sa réélection en 2022 Emmanuel Macron a conclu un pacte faustien avec Nicolas Sarkozy, tenant de la « laïcité positive » et de l’ « identité nationale » à laquelle il avait dédié un ministère en charge également de l’immigration pour que les choses soient bien claires, et auteur de l’ignoble discours de Grenoble en 2010.

Avec la même intention Emmanuel Macron a lancé, en 2020, une campagne de rectification idéologique contre les études de genre, les études postcoloniales, le wokisme à laquelle il a attelé son Premier ministre Jean Castex, son ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer et sa ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal, sans répugner à entonner la ritournelle de la Nouvelle Droite d’Alain de Benoist.

Entre exaltation du Mont-Saint-Michel comme « emblème de l’universalisme français », participation à la messe du Pape François à Marseille, célébration de la fête juive d’Hanoukka dans l’enceinte de l’Élysée et complaisance extrême à l’égard de l’enseignement privé catholique sous contrat avec l’État, de facto exonéré de ses obligations légales en matière de respect de la liberté religieuse et philosophique de ses élèves, il s’est définitivement affranchi, en 2023, de l’idée laïque dans l’espoir de contenter Sa Majesté médiatique Vincent Bolloré et l’électorat de la droite traditionaliste ou extrême.

La compromission avec cette dernière est donc allée jusqu’au vote de la loi scélérate contre l’immigration, non sans reprendre les éléments de langage du Rassemblement national ou de Reconquête ! sous forme de couper/coller. Elle se poursuit sous nos yeux avec la volonté d’abroger le droit du sol à Mayotte et l’indivisibilité de la République.

Sous la loupe des historiens la responsabilité personnelle d’Emmanuel Macron dans l’accession au pouvoir du Rassemblement national sera sans nul doute écrasante. Et d’autant plus évidente qu’au fond il adhère sans doute largement, dans son intimité, sinon aux idées de celui-ci, du moins à sa conception de la nation et de l’histoire françaises, ainsi qu’il l’a laissé poindre dès sa première campagne présidentielle. On ne poursuit pas sans dommages ses études secondaires dans l’enseignement catholique…

Néanmoins, les « affinités électives » du macronisme avec la révolution conservatrice sont plus profondes que l’écume du petit jeu politicien ou des aléas biographiques. Entre les deux guerres, les révolutions conservatrices, dans leurs différents avatars – fasciste, national-socialiste, kémaliste, stalinien, etc. – avaient affaire avec le traumatisme de la guerre, de la défaite (ou de la « victoire mutilée » dans le cas de l’Italie) et de la terrible pauvreté qui s’en était suivie. Nous n’en sommes pas (encore ?) là.

En revanche nous retrouvons dans notre époque immédiatement contemporaine deux autres ingrédients des révolutions conservatrices de l’entre-deux guerres. D’une part, les logiques de « masse », dont un Elias Canetti avait eu une profonde intuition, sous les visages de la « société de masse » de l’industrialisation, de l’urbanisation et des mass media, de la « guerre totale », des pandémies – à commencer par celle de la grippe dite espagnole qui causa la mort de plus de personnes que la Première Guerre mondiale[18].

D’autre part, la mise en concurrence généralisée des individus, dans le cadre d’un capitalisme et d’un État de plus en plus abstraits et propices aux explications complotistes de la marche du monde, selon les hypothèses respectives de Max Scheler et de Luc Boltanski[19].

Or, la politique d’Emmanuel Macron est liée à ces deux phénomènes. Il promeut un capitalisme financier qui se confond avec sa numérisation croissante, formidable accélérateur des effets de masse, en particulier par le biais des réseaux bien peu sociaux, et met en concurrence exacerbée les individus, non sans ériger le burn-out en maladie professionnelle du siècle. Il confie le gouvernement de la cité – et l’avenir des adolescents, par le biais de Parcoursup – à des algorithmes ô combien abstraits et énigmatiques pour le commun des mortels. Il assume sans scrupules l’ « ubérisation » du marché de l’emploi et le démantèlement de l’État-providence en acceptant d’accroître le sentiment d’incertitude et de déclassement de la majeure partie de la population, classes moyennes comprises.

En outre, la contingence de l’histoire a voulu qu’il ait dû faire face à la pandémie de la Covid-19. Un défi qu’il a relevé en mettant en scène, sur le mode martial qu’il affectionne, une guerre totale contre la maladie, menée dans l’enceinte camérale et aconstitutionnelle du Conseil de défense et du Conseil scientifique, et en imposant au pays une « expérience d’obéissance de masse » [20], un régime de soupçon généralisé à l’encontre des citoyens à partir de la procédure de l’ « attestation » (et de son éventuel contournement frauduleux, systématiquement suspecté par les forces de l’ordre), l’obligation de la vaccination, le fichage et la traque de la population, tout cela bien au-delà des seules nécessités sanitaires.

Trop souvent le débat – et la polémique – autour de la dérive « illibérale » de la France est réduite à la seule figure, honnie ou (de moins en moins) appréciée, du président de la République. Quelle que soit l’hybris jupitérienne ou vulcanienne de ce dernier, son action s’inscrit dans un jeu de forces, à la fois synchronique et diachronique, dont il est souvent le simple jouet. Il est plus important de réfléchir à des enchaînements complexes de circonstances contingentes et hétérogènes qui enclenchent, dans des situations historiques concrètes, de nouvelles configurations : ce que j’ai nommé des « moments d’historicité ».

Il n’a pas été suffisamment relevé, par exemple, que les émeutiers de juin 2023 ont été des enfants de la Covid qui ont vécu, à un âge compliqué et vulnérable, les effets délétères d’un confinement policier particulièrement autoritaire dans leurs quartiers populaires, ayant donné lieu à un sur-contrôle et une sur-verbalisation de la jeunesse, dans des conditions de promiscuité pénibles du fait de l’exiguïté des logements.

Si l’on ajoute à cela le mépris de classe et la relégation dont leurs parents ont fait l’objet après avoir été flattés et même exaltés par le verbe présidentiel pour leur rôle en « première ligne » pendant la pandémie, tous les ingrédients ont été réunis pour l’explosion de leur colère ou de leur rage qui ont été immédiatement criminalisées, « racialisées » et réprimées et ont fourni un argumentaire facile aux tenants de l’ordre et de l’autorité, sans que la moindre attention soit portée à la question de l’inégalité croissante qu’engendrent l’ubérisation de l’économie et le démantèlement des services publics.

De même la pandémie et le confinement ont accéléré la numérisation de la société en contribuant à sa déshumanisation et à son abstraction croissantes, propices aux théories complotistes, et à son contrôle policier, potentiellement totalitaire. Mais la crise sanitaire de 2020-2021 s’est insérée dans le prolongement des politiques néolibérales suivies depuis les années 1980 et de la surveillance policière de l’Hexagone que n’ont cessé de reconduire, au fil des décennies, l’Occupation allemande, la guerre d’Algérie, la lutte contre le communisme et le gauchisme, la chasse aux migrants, les dispositions de la lutte anti-terroriste et de l’état d’urgence, et enfin la « guerre » contre le virus.

La révolution conservatrice qui est en marche en France, comme dans de nombreux pays, n’est pas un caprice du prince, mais un fait de société et d’histoire que l’on observe dans l’un des États occidentaux les plus centralisés et les plus coercitifs en termes de ratio forces de l’ordre/population, de contrôles d’identité et de violences policières, et dans lequel le pluralisme de la presse n’est plus de mise sur une bonne partie de son territoire. C’est ce qui la rend d’autant plus inquiétante.

Neuf ans après une première tentative de réintroduction dans le code pénal de la déchéance de nationalité, la République française renoue avec l’État français de Vichy en s’attaquant maintenant au droit du sol, héritage de 1789, pour donner satisfaction à l’électorat de l’extrême droite et valider la « victoire idéologique » de cette dernière. Comme dans les pages les plus sombres de notre histoire l’étranger et les colonies fournissent à nouveau le banc d’essai de l’autoritarisme xénophobe et raciste. Plus qu’un symptôme, des retrouvailles, une résurgence. Bref, des « r- à l’initiale », en pagaille.


Jean-François Bayart

POLITISTE, PROFESSEUR À L'IHEID DE GENÈVE TITULAIRE DE LA CHAIRE YVES OLTRAMARE "RELIGION ET POLITIQUE DANS LE MONDE CONTEMPORAIN"

 
 

Début janvier, Célia Chirol, créatrice du blog À la télévision sur ma télévision, décide de se pencher sur la manière dont les journaux des grandes chaînes traitent de la guerre à Gaza. "Ma spécialité est la télévision, mais je me concentre souvent sur les chaînes d'information en continu, parce que j'oublie parfois que les JT restent une source importante d'information, indique à Arrêt sur images cette doctorante en sociologie des médias – un doctorat en pause faute de financement. Si je prends ma mère comme exemple, elle regarde le JT de France 2 tous les soirs."

Elle choisit cependant d'élargir sa recension à TF1, le journal de 20 h le plus regardé de France avec plus de 5,5 millions de téléspectateurs·ices en moyenne, qu'elle ajoute donc à celui de France 2 et ses plus de 4,5 millions de personnes, ainsi qu'à celui de M6 et son audience de plus de 2,5 millions de personnes. "Très naïvement, je pensais qu'il y avait tout de même des sujets réguliers sur ce qu'il se passe en Palestine… et je me suis aperçue que pas du tout !", se souvient Célia Chirol. Elle choisit de restreindre sa recension aux jours entourant l'audience devant la Cour internationale de justice (CIJ) suite à la plainte de l'Afrique du Sud pour "génocide", ainsi qu'aux 100 jours du conflit, soit du 8 au 14 janvier 2023.

Et fait un constat accablant, qu'elle publie sur son blog : "La donnée la plus marquante est que sur les 20 JT analysés, seulement 29 secondes de temps d'antenne ont été consacrés à Gaza et au sort des Palestiniens. Plus en détails, cela donne 5 secondes pour TF1, 10 secondes pour M6 et 14 secondes pour France 2." Elle observe aussi que 5 minutes sont consacrées aux Israélien·nes, et s'étonne surtout que "le froid en hiver", ou même le "nouveau clip de Jennifer Lopez", aient fait l'objet de plus d'intérêt journalistique. Célia Chirol a réitéré l'exercice un mois plus tard à l'occasion de l'hommage rendu par la France aux victimes françaises du 7-Octobre. Avec un constat portant sur les journaux télévisés du 5 au 8 février en forme de bis repetita, posté sur X : "Tous JT confondus (M6, TF1 et France 2), seul le 19:45 de M6 du 8 février a parlé des bombardements sur Rafah en 7 secondes donc, en mentionnant les Palestiniens et en précisant le nombre de morts. Le reste n'a mentionné que le Hamas lors de l'hommage et rien d'autre."

##Seul le journal de 20 h de France 2 évoque les gazaoui·es

ASI a souhaité reproduire l'exercice sur une dizaine de jours, à partir du 4 février jusqu'à la publication de cet article le 15 février. Avec une recension portant sur les journaux de 13 h et de 20 h de TF1 et de France 2, soit 46 JT pour près de 30 heures d'antenne au total. Premier constat : dans les deux journaux de TF1, comme dans les 13 heures de France 2, le sort des Gazaoui·es ne fait l'objet d'aucune séquence dédiée, que ce soit avec un reportage ou en plateau. Et aucun journal, d'aucune chaîne, n'a indiqué sur cette période de bilan chiffré du nombre total de morts à Gaza, plus de 28 000 à ce jour.

Deux séquences font exception, toutes deux diffusées dans le 20 heures de France 2 pour un total de 5 minutes d'antenne. L'une le 10 février, à propos des protestations officielles entourant l'annonce par le gouvernement israélien d'une offensive militaire à Rafah, dernière ville du sud de Gaza encore (relativement) épargnée par les bombes. L'autre le 13 février, afin de raconter les dernières heures de vie de Hind, enfant gazaouie de six ans tuée dans la voiture de ses parents, malgré ses appels déchirants diffusés par le Croissant rouge palestinien. Une ambulance a été détruite alors qu'elle lui portait secours, ciblée par l'armée israélienne dont des chars se trouvaient à proximité.

##Dans trois JT sur quatre, Pas plus d'une phrase pour les civil·es à Gaza

À l'inverse, les otages israélien·nes, ainsi que les annonces de l'État hébreu, bénéficient d'une couverture médiatique. Deux séquences sont ainsi présentes dans les quatre journaux. D'abord, l'hommage aux Invalides rendu le 7 février aux victimes françaises du Hamas. Ces séquences font part de la diffusion en Israël de cette cérémonie parisienne. Mais taisent l'annonce par le gouvernement d'un prochain "temps mémoriel" dédié aux "victimes françaises des bombardements à Gaza". Elle avait pourtant fait l'objet d'une dépêche de l'AFP.

Autre information unanimement relayée, l'annonce d'Israël quant à la libération de deux otages du Hamas à Rafah. Les journaux télévisés se focalisent sur l'opération militaire et les déclarations de l'armée israélienne. Les bombardements ayant entouré l'opération ? "Selon le Hamas, ils auraient fait une centaine de morts parmi les civils palestiniens à Rafah", indique la voix off du reportage de TF1 – seule et unique évocation des morts à Gaza pour l'ensemble de la période recensée dans le journal de 20 h le plus regardé de France. À ces deux informations traitées par tous les journaux s'ajoutent une séquence du 13 heures de TF1 à propos du tunnel mis en avant par l'armée israélienne sous le siège de l'UNWRA, l'agence des Nations-Unies pour les réfugié·es palestinien·nes. Ainsi que deux reportages auprès de proches d'otages israélien·nes aux 20 heures de TF1 et de France 2, la veille de l'hommage français. Soit au total un peu plus de 26 minutes consacrées aux otages du 7-Octobre ou à des informations venant d'Israël.

##Ce n'est pas faute d'intérêt pour l'actu internationale

Comment expliquer une telle invisibilisation ? Ce n'est pas faute d'intérêt pour l'actualité internationale "chaude", semble-t-il. Sur la même période, tous les journaux télévisés examinés ont ainsi consacré des reportages ou des séquences en plateau au cancer de Charles III au Royaume-Uni, aux intempéries en Californie, aux éruptions volcaniques en Islande, aux incendies au Chili, à la mémoire peut-être défaillante de Joe Biden, ainsi qu'aux manifestations liées aux élections reportées au Sénégal. La guerre en Ukraine a elle aussi été évoquée – à minima cependant – par l'ensemble des JT de TF1 et de France 2.

Le cancer de Charles III plutôt que les morts à Gaza 13 heures, France 2, 6 février 2024

Qu'en pensent les rédactions d'information des deux chaînes ? La Société des journalistes (SDJ) de France 2 a répondu à ASI préférer que ses échanges avec la direction restent "en interne", tandis que la SDJ de TF1 n'a pas répondu à nos sollicitations. Du côté des directions de l'information, ni celle de TF1, ni celle de France 2 n'ont répondu à nos demandes.

##Tant d'infos cruciales passées à la trappe

Si votre principale source d'information consiste à regarder les journaux télévisés de TF1 ou de France 2, vous ignorez donc probablement ce qu'il se passe dans la bande de Gaza. Par exemple, comment "les bombes israéliennes détruisent le patrimoine et effacent la mémoire", rapporte le Monde. Ce que signifie réellement l'offensive annoncée par l'armée à Rafah, dernier refuge des civil·es gazaoui·es, "des zones tellement peuplées que les gens s’y piétinent littéralement", écrit Marianne. Que des soignants français de retour de l'hôpital européen de Gaza viennent de témoigner devant des députés LFI de "la situation humanitaire catastrophique", rapporte Franceinfo. Le fait que "de nouveaux éléments pointent des attaques illégales d'Israël à Gaza causant de nombreuses victimes civiles sur fond de risque réel de génocide", alerte l'ONG Amnesty international. Les vifs débats entre Israéliens sur l'utilité de poursuivre cette offensive sanglante, toujours chez Franceinfo. Ou les deux journalistes blessés de la chaîne Al Jazeera gravement par des bombes israéliennes.

Mais de toutes ces actualités brûlantes, vous ne pouviez rien savoir en regardant les journaux télévisés proposés par TF1 et France 2 depuis 10 jours. Pas plus que des 28 000 morts dont plus de 5 000 enfants. Tandis qu'en évoquant la centaine de décès au sein de leurs séquences sur la libération des otages israéliens, les JT prenaient soin de préciser que ces morts l'étaient "selon le ministère de la Santé du Hamas", ou "selon le Hamas". Mais aucun de ces journaux ne précisait alors et n'a relayé tout court – une autre information : ces statistiques de décès communiquées par l'administration civile du Hamas à Gaza sont considérées comme fiables par l'armée et les services de renseignement israéliens eux-mêmes, selon une enquête du journaliste israélien Yuval Abraham publiée le 24 janvier sur le site d'informations israélien Mekomit.

Une information d'intérêt public ? Apparemment moins que l'influence de la chanteuse Taylor Swift sur la prochaine présidentielle américaine, à laquelle les 20 heures de TF1 et de France 2 ont consacré tous deux une séquence de reportage.

 

Shaden et Ibrahim ont reçu une obligation de quitter la France après avoir déposé une demande de régularisation auprès de la préfecture d’Ille-et-Vilaine. Si celle-ci affirme avoir suspendu la procédure après la médiatisation de l’affaire, la mesure d’éloignement n’est pas pour autant annulée.


Le Rheu (Ille-et-Vilaine).– Dans leur petite maison située en périphérie de Rennes, les effluves d’un café venu tout droit de Palestine s’échappent de la cuisine pour envahir le salon. Ibrahim rejoint sa femme, Shaden, assise sur le canapé. Les enfants ne vont pas tarder à rentrer de l’école. « Pour la plus grande, au début, ça a été vraiment dur. Elle a vécu les bombardements de 2018 et a été traumatisée », confie la mère.

La fillette est arrivée en France à l’âge de deux ans et demi. Traumatisée par ce qu’elle a vu à Gaza. « Elle entendait des bruits sourds des bombardements. Elle en faisait des cauchemars. » Chaque soir, elle prenait place dans le lit du couple, paralysée à l’idée de dormir seule. Les parents lui ont trouvé un psychologue, qui l’a suivie quelque temps. Aujourd’hui, elle est très sociable, se réjouit Shaden, qui précise qu’elle a malgré tout toujours besoin qu’on l’accompagne lorsqu’elle se rend aux WC.

Mais alors que la fillette allait mieux, elle voit désormais ses parents, et notamment sa mère, pleurer en lisant la presse arabophone ou en regardant Al Jazeera. Ce jeudi 8 février dans l’après-midi, la chaîne montre les images de Rafah, où plus d’un million de déplacé·es survivent sans rien ou presque après avoir fui la bande de Gaza, dont les habitations sont ravagées par la guerre.

« On essaie de ne pas regarder les infos quand les enfants sont là, mais ils ressentent tout », regrette Shaden, dont la famille a trouvé refuge sous les tentes de Rafah. Son frère, Majd, est décédé sous les bombardements, alors qu’il se trouvait dans le salon de la maison familiale, dans un quartier du centre de la bande de Gaza. Il avait 23 ans.

« Ma famille n’a pas voulu me le dire tout de suite, mais j’ai vu son nom sur Telegram et j’ai compris. » Ce soir-là, son père est blessé également. Il a depuis une fracture, suppose-t-elle, mais il n’ose pas se rendre à l’hôpital sachant toutes les urgences qu’il y a à traiter, comme les amputations.

Sur son ordinateur, Ibrahim fait défiler les photos de cet « enfer » : la maison de la famille de Shaden, pulvérisée et rendue à l’état de ruine, mais aussi le visage ensanglanté de son frère décédé, le corps enveloppé d’un linceul blanc, sur lequel se penche un proche. « Ça, c’était notre appartement », dit-il, l’air blasé. En tout cas ce qu’il en reste.

##Une OQTF suspendue mais pas annulée

Et « malgré tout ça », la préfecture d’Ille-et-Vilaine voudrait les « renvoyer » là-bas ? « Ils veulent mettre en jeu notre vie, nous envoyer à la mort », souffle l’homme âgé de 37 ans, qui ne se considère pas comme « immigré » ou « migrant », termes parfois péjoratifs et instrumentalisés, mais comme « expatrié ».

Depuis près d’une semaine, le couple est sous les feux des projecteurs. Un article de Ouest-France est venu mettre en lumière la situation ubuesque dans laquelle ils se retrouvent plongés, depuis que la préfecture a refusé leur demande de titre de séjour « vie privée et familiale » et leur a en sus délivré une obligation de quitter le territoire français (les fameuses OQTF).

Comment est-ce possible ?, s’interrogent-ils. « On sait qu’on a droit à ce titre grâce à notre intégration. On remplit les critères, on a des amis français, j’ai une promesse d’embauche », égraine Ibrahim, qui dit ne pas comprendre comment les autorités ont pu prendre une décision pareille.

Face au tollé provoqué par l’article de Ouest-France, la préfecture n’a pas tardé à réagir en publiant un communiqué, dans lequel elle précise que « contrairement à ce qui est relayé sur les réseaux sociaux, aucun éloignement vers la Palestine n’est organisé dans le contexte actuel ». « Les intéressés se sont vu notifier des obligations de quitter le territoire français (OQTF) en mai 2023, avant les événements tragiques qui se déroulent actuellement à Gaza », poursuit-elle, indiquant que la mesure d’éloignement est « suspendue ».

Mais l’OQTF n’est pas annulée pour autant et l’affaire court toujours devant le tribunal administratif de Rennes, puisque le couple a contesté la mesure d’éloignement en novembre dernier, et a dans le même temps formulé une demande de réexamen dans l’espoir d’obtenir l’asile en France.

La préfecture attend donc simplement que la demande soit traitée, ce qui signifie concrètement que le couple pourrait être expulsé en cas de nouveau rejet de sa demande. Dans son mémoire en défense daté du 23 janvier, que Mediapart a pu consulter, la préfecture assume d’ailleurs vouloir éloigner Shaden et Ibrahim malgré le massacre en cours à Gaza.

« Le couple ne démontre pas être dépourvu de toute attache dans leur pays d’origine », peut-on lire pour justifier l’OQTF. Puis plus loin : « S’il est exact que la situation sécuritaire dans la bande de Gaza est très dégradée, [...] il n’en est pas de même en Cisjordanie, où, si des heurts épars sont constatés, la situation est globalement stable, et qu’il paraît concevable que les intéressés puissent s’y installer. De même, leurs enfants en sont encore aux premiers apprentissages scolaires, si bien qu’il n’est pas démontré qu’ils ne pourraient pas poursuivre cette scolarisation en Cisjordanie. »

##Leur demande d’asile rejetée en 2018

L’avocate du couple, Me Le Verger, dit avoir été abasourdie en découvrant le contenu de ce mémoire, adressé après la clôture de l’instruction. « De manière générale, on était plutôt confiants sur leur demande d’admission exceptionnelle au séjour. C’est un couple amoureux de la France, lui est professeur de français, bénéficiant d’une promesse d’embauche et très actif dans la vie de leur commune. »

L’avocate estime qu’il s’agit là d’un cas symptomatique de la politique du chiffre menée par le ministère de l’intérieur, qui s’entête à délivrer des OQTF à des ressortissant·es de pays en guerre. « Il y a une volonté d’expédier les dossiers, quitte à créer de la précarité et de la souffrance. Et finalement, les tribunaux sont engorgés à cause du manque de professionnalisme ou de moyens des préfectures. » Sollicité par Mediapart, le ministère n’a pas donné suite.

On parle français, on se sent français, on rêve en français.

Ibrahim

Dans la maison, Naya, du haut de ses 3 ans, fait des tours de vélo dans le salon, tandis que les deux plus grands attendent que le dîner soit servi. Les deux plus jeunes sont nés en France, et ne parlent que français. « Il n’y a que l’aînée qui est née à Gaza », explique Shaden, qui s’étonne des arguments avancés par la préfecture. « Et puis, ils ne savent pas que les Gazaouis ont l’interdiction de se rendre en Cisjordanie ? »

Pour le couple, ces passages ont eu l’effet d’une déflagration. « C’est choquant. On vit en France depuis six et huit ans. On parle français, on se sent français, on rêve en français. On s’assume totalement depuis des années et ils refusent de nous donner les papiers. »

Professeur de français, Ibrahim a rejoint la France en 2016 avec un visa étudiant, après un premier séjour à Vichy en 2012 à l’occasion d’une formation financée par une bourse. Shaden le rejoint deux ans plus tard, avec un visa équivalent, et poursuit ses études de langues pour se spécialiser en anglais.

Lorsqu’ils décident de demander l’asile, en juillet 2018, c’est la douche froide. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) rejette leur demande, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) vient confirmer cette décision. Au bout de deux ans de procédure, ils tombent dans l’irrégularité mais se battent malgré tout pour rester.

S’éloigner de la famille a sans doute été le choix le plus difficile de leur vie. « On avait notre vie là-bas, notre logement, notre métier de professeur. On est venus avec notre argent et on a assumé tous les frais jusqu’à ce jour, sans aucune aide. »

Mais ce qui les a poussés à vouloir rester en France, précisent-ils, « ce sont [leurs] enfants ». « C’est ce qu’on a de plus précieux. Quand on a vu l’état psychologique de notre fille, ça nous a décidés. On veut qu’ils vivent en paix. » C’est au vu du contexte que le couple a demandé un réexamen de sa demande d’asile auprès de l’Ofpra le 21 janvier.

##Une vie suspendue

L’audience au tribunal administratif, prévue le 24 janvier, a été reportée, sans date fixée encore à ce jour, car la préfecture a répliqué avec son mémoire en défense la veille. En attendant de savoir s’ils obtiendront l’asile ou si l’OQTF sera annulée par la justice, Shaden ne vit qu’à travers les écrans. « Ma vie s’est arrêtée depuis que la guerre a repris. » La trentenaire a dû mettre ses études en suspens, et surveille les chaînes Telegram jour et nuit, à la recherche de noms de proches décédés. « Il y a tellement de morts qu’on tente de filtrer par région. »

Le couple « angoisse tout le temps » pour ses proches, et reste sans nouvelles durant des semaines parce que ces derniers n’ont pas de connexion ou d’électricité pour charger leurs téléphones. Jusqu’au message dans lequel ils indiquent simplement être « vivants ». L’autre jour, son aînée a compris que les cadeaux qu’elle avait fait parvenir à sa cousine préférée avaient été détruits dans les bombardements. « Ça lui a fait mal parce que ça lui tenait à cœur, c’étaient des choses qu’elle avait choisies elle-même. »

Dans l’entrée, un collier au pendentif incrusté d’une photo de son frère lui rappelle la douleur de n’avoir pas revu Majd avant qu’il ne disparaisse. Elle aurait pu voyager, avant que cette nouvelle étape de la guerre ne démarre, si elle avait eu « des papiers ».

Elle dit n’avoir jamais obtenu de réponse de la préfecture lors de sa première demande de régularisation, une fois son titre étudiant expiré. Heureusement, note-t-elle, un réseau de solidarité local se mobilise pour leur venir en aide. Le téléphone ne cesse de sonner le jour où nous les rencontrons. « Tu sais que le monsieur du bar PMU a reconnu ma tête dans le journal ?, lance Ibrahim à son épouse. Il était révolté de ce qui nous arrive. »

 

Border Police opened fire indiscriminately at a vehicle that tried to burst through a checkpoint, also firing 32 rounds into a taxi carrying a mother and her children. One of them, a little girl, was shot dead


Ruqayya Jahalin was going to celebrate her fifth birthday on February 9, 2024. But that will never happen because about a month ago, she was shot and killed by Israel Border Police troops. They fired no fewer than 32 rounds at the shared taxi in which the little girl was traveling with her mother, sisters and brother, on their way home, in the West Bank. Miraculously, she was the only person killed by the insane, indiscriminate gunfire.

She was sitting in the middle of the back seat of a Ford Transit when a bullet slammed into the vehicle from the back and stopped in her chest. Her body was removed from the van by the police officers and lay on the road for about six hours before her shocked parents were allowed to approach. The officers then took the body away and only returned it to the grieving family 10 days later. This is how, in both life and in death, Israel treats both the bodies and the dignity of Palestinians, even of little children who don't make it to the age of 5.

Beit Iksa is perhaps the most besieged and alienated village in the West Bank. Because of its location, northwest of Jerusalem, adjacent to the post-1967 neighborhood of Ramot, Israel closed its only entrance off with a temporary barrier in 2008, replacing it two years later with a permanent one. In the last 13 years only officially recognized residents of Beit Iksa, approximately 1,900 people – some of whom have blue (Israeli) ID cards, while others have special permits – have been allowed to enter.

The closure has become even tighter since the start of the war in Gaza. Previously, nonresidents were able to get special permission from the District Coordination Office to enter the village to attend weddings or funerals, or for other reasons, but that's no longer allowed. Cooking-gas canisters may be brought in, but only of one color, fodder for sheep is on the permitted list but any new flocks from outside have not been allowed into Beit Iksa since October 7. The connection between bringing sheep into the village and the war in Gaza and Israel's security is obvious, right? It was into this surreal, Gaza-style reality that Ruqayya Jahalin was born.

Her family is split up. Her father, Ahmed Jahalin, a 40-year-old construction worker and shepherd, is married to two women and has nine children. Six of them live with Aisha, 38, Ruqayya's mother, in Beit Iksa. The other three live with Rabaa, 30, and Ahmed in a neighborhood called the Western Valley in Arabic, of the town of Beit Hanina in the West Bank (other parts of town are within the municipal bounds of Jerusalem). Complicated? Such is the bureaucracy of the occupation.

Footage of the incident

Aisha and her children frequently visit Ahmed in the collection of shacks where he lives with his other family. Indeed, the youngsters attend school in the Western Valley on weekdays and sleep over in their father's place, rejoining their mother in Beit Iksa on the weekends. Ahmed, who worked in the settlement of Givat Ze'ev until the war erupted, is now unemployed, as Israel has barred Palestinians from working in Israeli locales ever since. He's now forced to rely on his small flock of about 30 sheep to support his families.

Ruqayya was his second-youngest child – only her brother 3-year-old Mohammed is younger. On Sunday, January 7, Aisha brought four of her children, who were on a winter break from school, to visit their father in Beit Hanina, which is about 15 kilometers from their home. That afternoon, they headed back to Beit Iksa. A friend of Ahmed drove Aisha and the children – daughters Marwa, 15, Rahma, 12, and the two little ones, Ruqayya and Mohammed – to the village of Bidu, where they got into a shared taxi heading to Beit Iksa, driven by a resident who is permitted to enter and leave it. The family was joined in the Ford Transit by two other Beit Iksa women; one sat next to the driver and the other was behind her. Aisha and Marwa sat in the middle row of seats, and Mohammed, Ruqayya and Rahma were in the back.

After a short drive they reached the checkpoint at the entrance to their village, where they had to undergo the usual strict procedure, waiting while other vehicles were stopped and checked before approaching cautiously and slowly. Three Border Police troops were at the checkpoint, Marwa tells us now, two men and a woman. The latter quickly checked the IDs of the passengers in the taxi, to ascertain that they were residents of Beit Iksa, then had a look inside the taxi to ensure that they weren't smuggling in sheep or other contraband. The driver was then allowed to proceed toward the iron gate at the other end of the checkpoint, which the female officer ran to open. Everything followed the usual, well-entrenched checkpoint routine.

Suddenly shots rang out. Heavy gunfire came from behind the van and the passengers had no idea what was happening, says Marwa: "We were scared, we shouted, a few bullets hit the floor of the taxi, under our feet." The driver, paralyzed by fear, stopped the vehicle immediately after passing through the gate. Aisha tried to protect her children, gathering panicky Rahma and Mohammed to her from the back seat. She then pulled Ruqayya toward her – and was appalled to see blood streaming from her back.

Marwa relates that her mother screamed that she wanted to get out of the taxi and rush Ruqayya to a hospital, but the driver warned her that if she got out of the vehicle, she too would be shot. He summoned an ambulance from Bidu, which arrived within minutes, but Israeli security personnel prevented it from passing through the checkpoint, to reach the taxi on the other side.

Panicked and desperate, Aisha continued to scream as she saw her little daughter fading before her eyes. After about 15 minutes, Ruqayya stopped breathing and her eyes rolled back into her head, Marwa says, adding that they were forced to stay in the taxi for a total of 20 minutes, which felt like an eternity. Aisha yelled to the driver to call Ahmed. None of the Border Police personnel bothered to approach to see what had happened inside the van.

When we visited her on Monday at Ahmed's home in Beit Hania, Marwa, a shy teenager, consented to have her picture taken, but only with her father, not alone. The trauma of having her little sister shot dead next to her was still apparent when we spoke to her, along with Iyad Hadad, a field researcher for the Israeli human rights organization B'Tselem, who investigated the incident.

She recalls that the Border Police officers finally came over and asked the driver why he wasn't leaving. "We have a wounded child here," he told them. Only then did security personnel approach the dying Ruqayya. The passengers were then allowed to get out of the vehicle, says Marwa, and to carry Ruqayya to the checkpoint. Paramedics in the Israeli ambulance that had meanwhile been called to the site examined the child, but in short order told Aisha that her child was dead.

It turns out that after Ford Transit was given the go-ahead and started to move toward the iron gate, a car suddenly appeared behind it and burst into the checkpoint area without stopping next to the Border Police. Footage from the security cameras shows the course of events: The Ford Transit advances slowly after passing the officers and then a smaller car speeds in. The Border Police open heavy fire on the car and run after it. According to Hadad's report, 32 rounds struck the taxi with the women and children in it, four slamming into the seats and 28 into the chassis. One bullet killed the little girl.

The B'Tselem researcher reports that the only passengers in the car that burst into the checkpoint area, and who were summarily shot to death, were a married couple from Bidu: Mohammed Abu Eid, 37, a gardener who was employed in Israel until the war, and his wife, Doha, 31. They had four children aged 14 and 10, in addition to 2-year-old twins, both of whom have a congenital heart defect and recently underwent open-heart surgery. What made the couple speed through the Beit Iksa checkpoint, knowing that that was basically an act of suicide? The couple had no record of security offenses or history of psychological problems. Relatives suggest that something may have gone wrong with the car, but that seems like a far-fetched possibility, judging from the way they drove.

Another possibility raised this week is that the couple wanted to die because their economic situation had become untenable, with Mohammed out of work and costly medical treatment needed for the twins. One account, which is unverified, says he took leave from some of his friends on the day of the incident. As far as is known, the Abu Eids were on the way to pay their condolences to a family in Beit Iksa – but they would have known that there was no entry into the village and that such a visit was impossible.

There is no hard evidence that this was a rare instance of Palestinians committing suicide in that fashion. What actually happened? We will probably never know. The couple were killed in the heavy volley of gunfire and Israel has not yet returned their bodies to their families. An Israel Police spokesperson stated this week in reply to a query from Haaretz: "The investigation of the terrorist ramming attack at the Ras Bidu crossing is still ongoing at this time, with the aim being to arrive at the truth of the matter and to determine the precise circumstances of the incident."

It emerges that Border Police personnel kept Ruqayya's father, Ahmed, who was summoned to the scene by the taxi driver, from approaching his daughter in her final moments and trying to calm his distraught wife and children. He was compelled to wait at the checkpoint for six hours, he says, while his daughter's body lay on the road, wrapped in a black plastic body bag, next to those of the couple from Bidu. Ahmed asked to be allowed at least to stand next to Ruqayya's body, but the police refused. Finally, security personnel took the body away and told Ahmed he would receive it the next morning.

"Ten days I waited for her," the father tells us. The police wanted to perform an autopsy and the family refused, but a Jerusalem court gave the green light. An international NGO for the protection of children made a lawyer available to the family, who handled the contacts with the authorities for the return of the body.

Finally, 10 days after she died, Ruqayya, was buried in the soil of her father's village.

 

Des vidéos que révèle Mediapart montrent qu’une femme de 67 ans, juive orthodoxe, a été privée de sa perruque alors qu’elle venait d’être arrêtée pour un refus d’obtempérer au commissariat de Créteil. Son avocat dénonce des violences policières « sexistes et antisémites ».


Sur les images, une femme est allongée sur le sol carrelé blanc, un bras menotté au pied d’un banc métallique, maintenue par deux policiers. On l’entend crier : « Je suis juive, je veux ma perruque. Ma perruque… » En vain. Sa tête est nue, ses cheveux apparents. La scène dure de longues minutes. 

Elle est issue d’une vidéo filmée par un policier du commissariat de Créteil (Val-de-Marne) le 8 juin 2023, et que Mediapart s’est procurée. Elle raconte l’histoire de Sarah*, 67 ans, retraitée, mère de six enfants et grand-mère de 30 petits-enfants, interpellée après un contrôle routier et accusée de « refus d’obtempérer » et de « dégradation de bien ».

Juive orthodoxe au sein d’une communauté Loubavitch, Sarah porte des perruques depuis ses 18 ans, l’année de son mariage, conformément à sa pratique religieuse. « M’arracher ma perruque est une des pires choses que l’on puisse me faire. À la maison, j’ai la tête couverte. Même la nuit », explique Sarah dans un entretien à Mediapart. Ce jour-là, dit-elle : « J’ai été humiliée, brisée… »

Son avocat, Arié Alimi, a déposé plainte pour « atteinte à la liberté individuelle » via une arrestation arbitraire, des « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » et des « violences commises en raison d’une appartenance religieuse et du sexe ». « On est à l’intersection de plusieurs violences : des violences sexistes, à caractère antisémite et une violence policière », estime Arié Alimi.

De son côté, Sarah est visée par une plainte de la police pour « mise en danger de la vie d’autrui avec risque immédiat de mort » et « dégradation de bien public ».

Contactée à de multiples reprises, la préfecture de police de Paris n’a pas donné suite à nos demandes.

###Un contrôle routier

Ce jeudi après-midi de juin 2023, Sarah rentre d’une boucherie de Créteil où elle a l’habitude de faire ses courses. Devant elle se trouvent trois motards qu’elle n’identifie pas comme des policiers immédiatement. Elle les klaxonne et poursuit sa route. Les agents de la patrouille motorisée de la compagnie de sécurisation et d’intervention de la circonscription de Créteil, eux, décrivent un véhicule roulant « à une vitesse excessive ». Ils encerclent Sarah, procèdent à un contrôle d’identité. Au milieu de la procédure, elle recule et heurte une moto garée juste derrière sa voiture. Les policiers braquent leurs armes de service sur elle. 

Les images, consultées par Mediapart, racontent la suite de la scène. Sarah assure qu’elle n’avait pas vu la moto. Et que si elle l’a heurtée, c’est « sans le faire exprès ». Elle dit aux policiers qu’elle a eu peur et a été choquée de voir leur « flingue ». Sur procès-verbal, un policier justifie la sortie d’arme par un « danger immédiat ». Allant jusqu’à dire : « La conductrice étant sur le point de nous percuter de plein fouet sans possibilité de nous protéger. »

Sur place, le ton monte. Les agents emmènent Sarah au commissariat. Elle refuse d’être menottée. « J’ai expliqué que j’étais claustrophobe [...] Ils ont accepté de ne pas m’entraver », a raconté la retraitée dans sa plainte à l’IGPN.

###« Un coup de genou dans le dos »

Un policier serait alors arrivé « en colère », selon sa plainte, affirmant que « ça ne se passerait pas comme ça ». Il l’aurait alors empoignée pour la lever, Sarah serait « tombée dans les pommes ». Pour la redresser, il lui aurait donné « des coups », notamment « un coup de genou dans le dos ». Sa tête aurait heurté le banc de garde à vue et le mur ; sa perruque aurait alors légèrement glissé.

Les policiers la lui enlèvent. Un des motards le justifie dans son compte rendu écrit : « Sa perruque l’empêchant de respirer correctement, un effectif lui retire [...] lorsque l’interpellée devient complètement hystérique et se met à hurler qu’elle veut récupérer sa perruque ».

Ce que l’agent qualifie de comportement « hystérique » – un terme « sexiste », souligne l’avocat de Sarah – figure sur les images filmées par un des policiers présents, et versées à la procédure. On y voit Sarah finalement à terre, se démener, hurler, sembler à demi consciente, voire inconsciente. D’après son avocat, elle a fait plusieurs malaises. Sa fille, jointe par le commissariat, avait prévenu qu’elle était sujette à « des crises de tétanie ». Sur les images, on la voit plusieurs minutes, sans réaction, la tête ballante, le corps raide. Elle parle difficilement, convulse…

Les policiers, eux, jurent qu’elle a « feint » les pertes de conscience. 

« Ces policiers ne sont pas médecins..., rétorque Arié Alimi. Quand on voit quelqu’un au sol, qui a l’air d’avoir perdu connaissance, leur appréciation ou leur abstention à agir peut constituer une mise en danger de la vie d’autrui. » Ils finiront d’ailleurs par appeler les pompiers, qui vont conduire Sarah aux urgences de l’hôpital. Elle y restera une heure sans être examinée. Elle ira consulter son médecin traitant le lendemain. 

Le certificat médical qu’il établit, en date du 9 juin, « constate des contusions et hématomes aux poignets, à la face interne des bras, sur les genoux, à la fosse lombaire droite, à la cuisse droite, au niveau des fesses et un état de choc psychologique ».  

###« Un acte antisémite par des représentants de l’État »

Fait surprenant : nulle part dans les 57 pages du dossier de poursuites à l’égard de Sarah n’est mentionnée la raison pour laquelle elle réclame sa perruque. Jamais sa confession, pourtant si importante pour elle, n’est indiquée.

Néanmoins, les policiers le savent. Elle leur crie qu’elle est « juive » sur une des vidéos versées au dossier. On y entend aussi distinctement l’un des agents dire qu’elle est « feuj ». Sarah est la cible de railleries. Les images le montrent. Alors qu’un policier lui demande son adresse, une collègue répond : « Rue de la perruque ! » C’est elle, entre autres, qui refusera de la lui rendre. 

« C’est une scène ignominieuse, s’émeut Me Alimi. Il faut qu’on sache comment a été traitée une femme juive dans un commissariat de la République française. » L’avocat a consulté Jonas Pardo, du collectif Golem qui lutte contre l’antisémitisme : « Arracher la perruque d’une femme juive est un acte antisémite, une atteinte à sa dignité, à sa pudeur, de la même manière qu’arracher le foulard d’une femme musulmane serait un acte islamophobe. »

Sarah regrette ce qu’elle juge être « un acte antisémite par des représentants de l’État », visée « parce que juive » : « Parce que j’étais une femme aussi. » Entravée, malmenée et humiliée, sur le sol d’un commissariat, elle explique même avoir pensé « aux nazis » et dit s’être sentie « de manière symbolique » plongée dans « une partie de l’histoire » des juifs et juives d’Europe.

###Contusions, hématomes et « choc psychologique » 

Le 13 juin, Sarah dépose plainte auprès de l’IGPN pour « violences volontaires ». « J’avais saisi l’ampleur de ma douleur, et surtout de mon traumatisme. Dès que je commençais à parler, je pleurais. J’avais des bleus sur le corps. »

« Rien que d’en parler elle se mettait à trembler, à bégayer », souligne une de ses filles. Son mari, médecin, dit aussi avoir été « très perturbé par l’état de [sa] femme ». « Même si elle sait être courageuse et résistante, elle est plus fragile depuis. C’est très révoltant. »

Mais sa plainte est classée sans suite, le 28 septembre, au motif que « l’infraction n’est pas caractérisée », selon le parquet de Créteil. Selon nos informations, Sarah a déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile le 1er février.

Parallèlement, l’enquête sur les faits qui se sont produits lors du contrôle routier s’est poursuivie. Le 20 juin, Sarah est placée en garde à vue pendant six heures. Le devis de réparation de la moto qu’elle a renversée lui est présenté : 2 390,15 euros – elle devra s’en acquitter. Sur procès-verbal, elle indique : « Je déplore l’inhumanité des gens [...] J’ai été menottée de force, je suis tombée par terre, des fonctionnaires de police [...] étaient là pour me brutaliser [...] je ne reconnais pas les faits reprochés. »

Le parquet de Créteil lui a proposé une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, une forme de plaider-coupable. Sont reprochés à Sarah une « mise en danger de la vie d’autrui » et l’acte d’« avoir dégradé la moto d’un fonctionnaire de police ». La sexagénaire a refusé. Elle est renvoyée devant le tribunal le 4 mars prochain. 

Aujourd’hui, Sarah explique être dans une « révolte permanente » au sujet des violences policières. Elle témoigne pour qu’aucune autre femme ne subisse le même traitement : « Que ce soit une femme juive, arabe ou toute femme qui tient à un vêtement ou a une attitude liée à sa religion. Tout le monde a droit au respect. »

 

Quatre groupes de hard rock nazi sont à l'affiche de cet événement qui pourrait se tenir fin février en région lyonnaise. Joint par «Libération», le ministère de l'Intérieur n'était pas en mesure à ce stade d'apporter plus de précisions.


Après quatre années de sommeil, le «Call of Terror» («appel de la terreur») est de retour. En 2020, la dernière édition en date de ce festival nazi avait rassemblé quelques centaines de mélomanes, venus tendre le bras sur des sérénades beuglardes gloriant la haine. Libération s'est procuré l'affiche de ce nouveau rendez-vous, le cinquième du genre : elle annonce la présence de quatre groupes de NSBM (pour «National-socialist Black Metal», du hard rock nazi) et fixe le rendez-vous au 24 février. La date n'a pas été choisie au hasard par ces nostalgiques du IIIe Reich : elle correspond à l'anniversaire de la création, en 1920, du NSDAP, le parti national-socialiste d'Adolf Hitler. Si le lieu de cette soirée est soigneusement tenu secret, elle devrait, selon nos informations, se tenir en région Auvergne-Rhône-Alpes, quelque part entre Lyon et la frontière Suisse. Joint par Libé, le ministère de l'Intérieur n'était pas en mesure à ce stade d'apporter plus de précisions sur l'événement, qui devrait mobiliser les forces de l'ordre locales.

Sur l'affiche du Call of Terror 2024, des casques de légionnaires romains stylisés et une phrase : «See you in hell» («rendez-vous en enfer»). Parmi les groupes annoncés, la formation polonaise de black metal Graveland, connue et populaire au sein de cette sphère musicale, mais pointée pour ses accointances nazies. Notamment au vu de textes publiés sur son blog, selon lesquels «nous avons tous besoin de ségrégation raciale pour préserver notre propre culture et notre spiritualité» ou encore «la confrontation entre la civilisation occidentale blanche et la civilisation des immigrés de couleur est imminente». Le groupe y tenait également des propos ouvertement antisémites et homophobes. Graveland s'était déjà produit en France en 2016 lors d'un festival de «metal viking». Lors de son passage sur scène, de nombreux saluts nazis avaient été constatés dans la foule.

Festival en sommeil depuis quatre ans

Star du concert à venir, qui a notamment été annoncé sur l'un des principaux canaux néonazis français, la chaîne Telegram Ouest Casual, Graveland partagera la scène avec les Polonais de Kataxu, tout aussi radicaux. Et avec les Italiens de SPQR (pour Senatus populusque romanus, «le Sénat et le peuple romain», devise la Rome antique), proches de la pire extrême droite transalpine et dans les concerts desquels les bras tendus sont légion. Aussi mentionné, un mystérieux groupe dénommé Leibwächte, «garde du corps» en allemand. Cette formation, qui n'a pas d'existence en ligne, est la seule dont les organisateurs du Call of Terror ne précisent pas la nationalité. Selon une source bien informée au sein de la mouvance, ce pourrait être un alias créé pour l'occasion, afin de cacher le nom du vrai groupe qui se produira. Pourrait-il renvoyer aux Français du groupe Leibstandarte, du nom de la division SS chargée de la protection rapprochée d'Adolf Hitler ?

Cela fait quatre ans que le Call of Terror était en sommeil, après les premières éditions organisées entre 2017 et 2020. Ces événements se sont tous tenus dans la grande région lyonnaise, en Auvergne-Rhône-Alpes. A la manoeuvre, selon une autre source au fait de cette mouvance : des réseaux liés aux suprémacistes du mouvement Hammerskins France, émanation d'un gang néonazi américain violent dont la branche allemande, très connectée à ses homologues français, vient d'être interdite.

Interdiction d'un événement similaire en 2023

Selon Rue89 Lyon, les précédentes éditions étaient plutôt pilotées par le groupuscule Blood and Honour Hexagone, section française du mouvement skinhead fondé en 1987 par Ian Stuart, chanteur anglais du groupe de RAC (pour «rock anticommuniste») Skrewdriver et interdit dans plusieurs pays comme l'Allemagne, l'Espagne ou le Canada. Blood and Honour Hexagone, considéré comme un «groupe de combat», a été dissous par l'Etat en juillet 2019 car il diffusait «une idéologie néonazie, raciste et antisémite, exaltant la "race blanche", appelant à la haine, à la discrimination et à la violence», notamment par «l'organisation de concerts de musique néonazie». Ses membres ont également été impliqués dans des violences, souvent à caractère raciste. En mars 2016, un vaste coup de filet avait débouché sur l'interpellation de onze militants et la saisie de 11 armes d'épaule, 28 armes blanches, des gilets pare-balles, des casques lourds et des objets ou drapeaux nazis.

En 2023, l'annonce d'un événement similaire en région Grand Est, le «Night for the Blood» («nuit pour le sang»), avait mobilisé les autorités. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait réagi en personne et demandé aux «six préfets potentiellement concernés», ceux des départements où la soirée était susceptible de se tenir, de tout mettre en oeuvre pour «interdire le concert», qui l'avait effectivement été.

Sans doute échaudés, les organisateurs du Call of Terror 2024 gardent jalousement le secret du lieu de rendez-vous pour le 24 février. Une pratique classique pour ce type d'événements, dont l'adresse, le plus souvent des salles des fêtes de petites communes réservées sous des faux prétextes, n'est communiquée qu'au dernier moment et aux seuls détenteurs d'une place, afin de contourner les interdictions. Le jeu du chat et du nazi.

[–] [email protected] 0 points 7 months ago (2 children)

Plus d'infos sur la surveillance généralisée dans les TPO, qui a été qualifié de "apartheid automatisé" dans un rapport de Amnesty. Surtout en Cisjordanie et Jérusalem-Est. C'est à peu près semblable à la situation au Xinjiang pour les ouïghours et minorités musulmanes :

https://www.la-croix.com/Monde/A-Hebron-Jerusalem-Amnesty-International-denonce-apartheid-automatise-2023-05-02-1201265757

[–] [email protected] 0 points 7 months ago

C'est un billet d'opinion ! Mais c'est clair qu'on ne verrait pas cela dans Le Monde par exemple. Enfin de manière pas aussi cash.

[–] [email protected] 0 points 8 months ago

Françaises attendant les résultats de leurs bilans de fertilité, Paris 2026.

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